VI L'Amoureux

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Entre la lame du Tarot des Visconti et celle du Tarot de Charles VI, il n'y a pas grande différence : Cupidon, le dieu de l'Amour, dirige sa flèche sur les amoureux. Dans la première image, il s'agit d'un couple unique, dans l'autre d'un cortège, mais dans les deux cas, un engagement mutuel accompli est, en quelque sorte, entériné par le jeune dieu qui en est considéré comme l'initiateur. Le cortège du Tarot de Charles VI est intéressant à cause du nombre qu'il représente : 2 x 3 = 1 + 2 + 3 = 6, le nombre « nuptial » chez les pythagoriciens. Clément d'Alexandrie précise même : « Chez les pythagoriciens, le sénaire est un nombre sexuel et s'appelle pour cette raison le mariage. » D'autre part, on retrouve là comme un écho de l'oeuvre de Shakespeare et des trois couples d'amoureux du Songe d'une nuit d'été. Mais, encore une fois, l'amour fait ici son oeuvre sans problème apparent. Il en est de même dans le Tarot de Mantegna. Seule différence, Cupidon est ici aveugle, sans bandeau.

La transformation est radicale à partir du Tarot de Marseille. Le jeune homme s'y trouve entre deux femmes, et il doit choisir. Ce n'est plus l'image d'un amour comblé, heureux, mais l'appétit de vivre et d'aimer avec la difficulté de la voie à prendre.

Il en découle une interprétation, fondée d'ailleurs sur de multiples références iconographiques ou littéraires, qui font de cette lame la transposition de l'âme humaine à la croisée des chemins, hésitant à s'engager dans l'une ou l'autre route. L'une des paraboles illustrant le mieux cette situation est celle d'Hercule au carrefour entre la Vertu et le Vice. Cette parabole a été représentée dans les arts graphiques ; on peut lire, dans la vie d'Apollonius par Philostrate, un passage qui semble la description même de cette lame du Tarot : « Vous connaissez dans les livres à images la représentation d'Hercule par Prodique où il est jeune et n'a pas encore choisi la sorte de vie qu'il suivra. Le vice et la vertu se dressent à ses côtés, lui tiraillent ses vêtements et tâchent de l'attirer chacun de son côté. »

Bien entendu, cette légence d'Hercule se transpose dans l'allégorie et atteint le symbole quand on y voit l'âme dans l'au-delà, arriver à une bifurcation marquée par un cyprès blanc. Chez Platon, les trois fils de Zeus : Minos, Rhadamante et Eaque sont juges au carrefour d'où partent à droite la route vers les îles Fortunées et à gauche celle qui conduit au Tartare. Les inscriptions antiques relatives à la bifurcation sont claires et recommandent : « Prends à droite. »

Détail curieux, Cupidon, dans le Tarot de Marseille, pointe bien sa flèche, mais celle-ci ne repose pas sur la corde tendue de l'arc, comme si le choix dépendait de l'individu seulement.

Certains, comme Van Rijnberk, se posent la question en écrivant : « Quelle est la signification du Sagittaire ailé qui plane sur le groupe? Si ce n'est lui qui détermine le choix du jeune homme, on serait tenté d'y voir une allusion au dogme calviniste de la Prédestination. L'homme n'est pas libre de choisir la voie qu'il suivra dans la vie ; il reçoit une impulsion d'en haut et se dirige là où son ange le veut. » Le Tarot de Marseille est, une fois de plus, complexe et troublant. L'ange y figure bien et il pointe bien la flèche, mais n'est-ce pas pour donner le change puisque son arc n'est pas armé ?

Si l'on excepte Waite, qui simplifie à l'extrême en suivant l'exemple de l'imagerie du XIXème siècle et en traduisant cette figure par l'image du couple béni par le dieu, la plupart des interprètes mettent en évidence la difficulté du choix que représente cette lame ; certains même l'intitulent L'Épreuve.

A partir de ce numéro, les familles de tarots issues d'Etteilla divergent totalement. On retrouvera cette lame de L'Amoureux en numéro 13, avec une bénédiction nuptiale très conventionnelle. Cela dit, comme pour les autres lames, on pourrait trouver des figurations différentes, même dans les jeux anciens. C'est le cas, par exemple, du Minchiate proposant l'image d'un jeune homme agenouillé devant une femme debout et recevant d'elle une couronne, tandis que Cupidon tend son arc. On passe alors de l'épreuve et de l'hésitation au choix assumé jusqu'à la soumission, dans la tradition de l'amour galant du Moyen Age.

Cependant, que soit figuré le départ ou l'arrivée, que l'on voie Hercule au carrefour ou bien la légende du jugement de Pâris incapable de faire son choix entre les charmes d'Héra, d'Athéna ou d'Aphrodite, cette lame reste l'une des plus claires du Tarot. Même si beaucoup pensent qu'il est impossible de répondre à la question : Où est le vice et où est la vertu ?

Parce que le symbole est clair, cette figuration est reprise à toutes les époques jusqu'à nos jours dans les romans-photos, sur les affiches, dans la littérature.

  • Interprétation de Pitois
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Source : Les Tarots, Brian Innes
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Posté le 21/11/2024 11:23:38