Nulle carte du Tarot n'a provoqué autant de discussions que celle-ci. Court de Gébelin la retourne et en fait la carte de La Prudence. D'une manière délibérée, car il a parfaitement vu l'image d'un pendu. Il écrit : « La Prudence est du nombre des quatre vertus cardinales : les Égyptiens purent-ils l'oublier dans cette peinture de la vie humaine ? Cependant, on ne la trouve pas dans ce jeu. On voit à sa place, sous le n° XII, entre La Force et La Tempérance, un homme pendu par les pieds ; mais que fait là ce pendu ? C'est l'ouvrage d'un malheureux cartier présomptueux qui, ne comprenant pas la beauté de l'allégorie renfermée sous ce tableau, a pris sur lui de le corriger, et par là même de le défigurer entièrement. » Court de Gébelin explique alors que La Prudence ne pouvait être mieux représentée que par un homme posé sur un pied et avançant l'autre avec précaution avant de le poser avec sécurité : « ... Le titre de cette carte était donc l'homme au pied suspendu, pede suspenso : le cartier ne sachant ce que cela voulait dire en a fait un homme pendu par les pieds. Puis on a demandé, pourquoi un pendu dans ce jeu ? Et on n'a pas manqué de dire : c'est la juste punition de l'inventeur du jeu pour y avoir représenté une Papesse. Mais placé entre La Force, La Tempérance et La Justice, qui ne voit que c'est La Prudence qu'on voulut et qu'on dut représenter primitivement ? ». Toutes les interprétations restent valables.
Il est vrai que Court de Gébelin ne connaissait pas les cartes anciennes enluminées où Le Pendu figure bel et bien, ni le Minchiate où l'on trouve à la fois Le Pendu et La Prudence. D'autre part, on peut s'étonner à juste titre de ne voir représentées que trois vertus cardinales sur les quatre. Etteilla suivra son maître en supprimant Le Pendu de son jeu. Il remplace la corde par un serpent, et sa Prudence est une femme qui hésite à passer par-dessus. Le jeu espagnol, quant à lui, revient à La Prudence allégorique tenant un miroir sur le manche duquel est enroulé un serpent.
Pour revenir au Pendu indéniable, l'interprétation habituelle est fournie par Van Rijnberk quand il dit : « On a l'habitude de considérer cette lame comme l'emblème de l'esclavage magique. Mais celui-ci n'est qu'une des multiples formes d'esclavage que l'homme peut subir et dont Le Pendu est le symbole. » Il est certain que la pendaison par un pied est un supplice maintes fois appliqué, mais des problèmes iconographiques se posent. Dans le Minchiate et dans le Tarot de Charles VI, Le Pendu tient dans ses mains deux sacs contenant des pièces d'or. Dans le Tarot traditionnel, il a au contraire ses mains derrière le dos et une jambe curieusement repliée en équerre - généralement la jambe droite repliée sous le mollet gauche. Une posture dont l'iconographie du Moyen Age ne semble pas offrir d'autre exemple ; une posture déjà présente dans le Tarot des Visconti et que le Tarot de Marseille ne fait qu'affirmer en l'encadrant d'arbres véritables au lieu d'un simple portique.
Pitois décrit ainsi cette lame : « Un homme pendu par un pied à une potence qui repose sur deux arbres ayant chacun six branches coupées. Les mains de cet homme sont liées derrière le dos, et le pli de ses bras forme la base d'un triangle renversé dont la tête est le sommet. C'est le symbole de la mort violente, subie par accident, ou pour expiation de crime, ou acceptée par dévouement à la Vérité et à la Justice. Les douze branches coupées figurent l'extinction de la vie dans les douze maisons solaires. Le triangle renversé symbolise catastrophe. »
Oswald Wirth reprendra un thème semblable en le sublimant ; d'autre part, certains auteurs feront le rapprochement avec Judas, à cause des sacs d'argent rappelant les trente deniers reçus en paiement de sa trahison.
Néanmoins, une autre voie de réflexion est possible ; elle conduit à rapprocher Le Pendu de la naissance. Si la figure représente bien un supplicié, celui-ci préfigure un accouchement mystique et non une souffrance ou une expiation pure et simple. Plusieurs indices étayent cette hypothèse.
En premier lieu, il y a le parcours curieux de la corde sur le Tarot de Marseille. Les cordes ont des fonctions mystérieuses dans le Tarot. Celle de l'arc de l'amour ne passait pas derrière la flèche et celle du Pendu n'attache pas son pied ! La corde du Tarot de Marseille glisse derrière la jambe ; elle vient de l'arbre maternel comme s'il s'agissait d'un cordon ombilical.
Cette idée, développée ailleurs, peut être confirmée par un autre indice, la position des jambes, difficilement explicable autrement. A propos de la lame IV, L'Empereur, on a noté comment la déesse romaine présidant aux naissances et voulant empêcher la délivrance d'Alcmène joignit les mains et croisa sa jambe droite sur sa jambe gauche. On peut retrouver ici une autre trace confirmant cette hypothèse d'une liaison entre la lame du Pendu et la naissance. Cette interprétation n'exclut pas les autres, mais sans doute approche-t-elle la réalité de plus près. La Légende dorée mettra d'ailleurs dans la bouche du grand patron des pendus, saint Pierre, pendu à l'envers, ces mots : « Nous sommes les enfants du premier homme qui a enfoncé sa tête dans la terre et dont la chute indique la manière avec laquelle l'homme vient au monde... ».
Or cette naissance est comme « suspendue », stoppée par la position quasi magique de la jambe droite repliée. Certains interprètes retrouvent cela par d'autres voies, comme Paul Marteau qui, analysant la signification du nombre 12, écrit : « Cette lame signifie un arrêt ou une suspension dans le travail évolutif de l'Homme. »
La liaison de cette lame avec le nombre 12 invite en tout cas à la réflexion quand on connaît l'importance de ce nombre. Comment éviter les pièges des nombres ? Si une autre image s'était trouvée à cette place, une interprétation analogue éclairerait son sens, on y trouverait matière à méditer. C'est une des fascinations du jeu des symboles : se laisser prendre, mais garder ses distances.