XV Le Diable

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Cette carte n'a été conservée ni dans le Tarot de Charles VI ni dans celui des Visconti. On voit néanmoins Le Diable représenté dans un ancien jeu de Minchiate sous la forme d'un monstre ailé à deux visages en train de dévorer un homme. Dans les Minchiates plus tardifs, il est vu comme un personnage ailé, marchant armé d'un trident et vêtu de serpents. Ailleurs, dans un jeu belge du XVIIIème  siècle, il jette des flammes par la bouche et son corps est couvert d'yeux.

On sait que le Moyen Âge a représenté souvent ce personnage du Diable sous les aspects les plus effrayants que l'on puisse concevoir. Alors Le Diable est souvent représenté de profil (la face est divine mais le profil est maléfique). L'apparition de la figure du Tarot de Marseille n'en est que plus surprenante car l'influence de l'alchimie s'y fait sentir. Il ne s'agit plus seulement de faire peur en montrant un monstre ; l'image est fortement composée. La coiffure est une couronne de flammes : le personnage a des ailes bleues et tient un flambeau dans la main gauche ; il se tient debout sur une enclume ou un creuset. Mais surtout, il est accompagné de deux petits êtres captifs, l'un mâle, l'autre femelle. Cette lame propose une inversion de la carte du Pape, qui était également symétrique, avec une figure centrale et deux personnages vus de dos.

Voici un nouvel exemple, très significatif, de l'évolution marquée par le Tarot de Marseille à la fin du XVIIème siècle. L'identification du Diable avec Typhon, frère d'Osiris et d'Isis, a été faite dès l'origine par Court de Gébelin ; on le retrouve chez Pitois et d'autres. Pour Wirth, montrant une fois de plus l'influence d'Eliphas Lévi, Le Diable est devenu cette invention de son maître : le bouc de Mendès. « Le Diable nous apparaît dans le Tarot sous l'aspect du Baphomet des Templiers, bouc par la tête et les jambes, femme par les seins et les bras. Cette idole monstrueuse dérive du Bouc de Mendès et du Grand Pan androgyne des Gnostiques. » Comme il l'avait fait avec la carte de La Mort, Wirth inverse les côtés de la figure ; son Diable porte la torche incendiaire de la main droite, tandis que la gauche recueille la lumière astrale.

Bouc de Mendès

Le Bouc de Mendès était considéré par Éliphas Lévi comme l'idole adorée par les chevaliers du Temple.
Cette apparence se retrouve dans la carte


Pour se faire comprendre davantage, Wirth a tatoué sur les bras de son personnage les mots coagula et solve (solidifier et liquéfier), double opération permettant de dominer les deux formes prises par le feu : lumière et incendie. Par comparaison, le dessin de Waite parait conventionnel mais il reflète la figure de L'Amoureux ; la pose du Diable est semblable à celle de Cupidon dans la lame VI et les deux captifs du démon ressemblent à l'homme et à la femme.

Bien entendu les exemples de divinités infernales abondent dans l'Antiquité et la mythologie, depuis Typhon, déjà nommé, jusqu'à Satan, le bien connu. A chaque fois, on retrouve autant l'incarnation d'un principe maléfique que le gardien d'un seuil à ne pas franchir sous peine de non-retour. Peut-être, en effet, Le Diable du Tarot est-il d'inspiration celtique. En tout cas, il n'est pas « chrétien ». Une figure riche de signification peut lui être rapprochée ; elle se trouve dans la religion du mithraïsme, laquelle était florissante au temps où le christianisme n'était pas encore établi. Mithra est l'une des plus anciennes divinités identifiées ; on le trouve dans les premiers textes hindous, les Védas et il fut « établi » avant 1400 av. J.-C. Il apparaît comme un dieu important dans le zoroastrisme où son adversaire est Ahriman, la représentation de Zervan.

Dans le mithraïsme, Zervan était représenté habituellement avec des ailes, la tête d'un lion et il portait une paire de clefs. Parfois il avait des pieds griffus et un serpent entourait son corps pareil à la queue de Set. Ou encore la tête-lion était placée sur son ventre, Mithra lui-même étant généralement représenté debout entre deux figures plus petites, l'une tenant une torche en montant, à droite, l'autre la tenant en sens contraire. La carte du Tarot de Marseille aurait emprunté des éléments à diverses sources ; celle-ci semble bien être du nombre.

Ainsi cette lame symbolise avant tout le pouvoir de l'adversaire. Sur le plan de l'existence, cela représente la voie par laquelle les circonstances semblent conspirer contre les réalisations de ce plan ; et cela correspond à l'obscurité, au côté subconscient de la nature humaine, qui nous occasionne souvent des actes contraires à nos meilleurs intérêts. On peut le considérer comme un adversaire, mais il peut aussi être ami quand la personnalité est si forte qu'elle est capable d'influencer nos décisions. Comme toujours, ambiguïté et complexité dominent.

Paul Marteau exprimera cela en disant : « Le Diable représente un principe d'activité spirituelle qui cherche à pénétrer la matière et à s'en vêtir pour se matérialiser. Il symbolise une grande évolution parce qu'il est le symbole du mal : il est aussi celui du triomphe. Ce sont les hommes qui lui ont donné le symbole maléfique, mais il est profond en lui-même, d'essence divine et aussi nécessaire à l'humanité que le bien, étant un pont entre le bien et le mal ; la divinité, telle que l'homme la conçoit, pouvant être envisagée selon son interprétation comme le Bien ou le Mal. »

Le rapport existant entre Le Diable et Le Pape (au pieds du Pape, deux hommes agenouillés personnifient le bien et le mal soumis au souverain maître des arcanes. Ceci parce que le numéro de cette lame est 5, « nombre de l'Homme envisagé comme le médiateur entre Dieu et l'Univers », nous dit Wirth) : dans les nombres qui leur correspondent, tous deux liés au chiffre 5 et dans la situation des deux personnages liés à la figure principale. En revanche, le fait que l'un soit debout et l'autre assis marque l'opposition essentielle de l'instable au stable.

Figure de Set avec deux cornes

Figure de Set avec deux cornes.
Remarquer les deux personnages attachés comme sur la figure du Tarot.


Figures mithraïques découvertes à Ostie

Figures mithraïques découvertes à Ostie avec des suivants porteurs de torches

  • Interprétation de Pitois
    Interprétation de Pitois
  • Tarot populaire suisse
    Tarot populaire suisse
  • Tarot "à deux têtes" italien contemporain
    Tarot "à deux têtes" italien contemporain
  • Tarot de Marseille
    Tarot de Marseille
  • Tarot de Wirth
    Tarot de Wirth
  • Tarot espagnol
    Tarot espagnol
  • Tarot de Waite
    Tarot de Waite
Source : Les Tarots, Brian Innes
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Posté le 21/11/2024 09:59:43