Dans la série d'images figure, sans doute possible, un Pape tel que les dessinateurs en propagent les portraits depuis des siècles, voici une surprise : l'image d'un Pape de profil dans le Tarot de Charles VI. (Nous ne parlons pas des tarots « égyptiens » dont les visages sont également de profil comme l'étaient les figures reproduites sur les fresques et les bas-reliefs dans ce pays.) Cette particularité du Tarot de Charles VI est-elle là pour marquer le caractère temporel de l'Église, caricaturer sa pompe et ses oeuvres, souvent liés au pouvoir en place? Est-ce pour marquer une parenté avec L'Empereur? Est-ce en raison de la présence d'une figure sacrée dans un jeu? Les éléments de réponse manquent. Notons cependant que Le Pape ici porte les insignes de sa fonction - Livre et Clés - comme pour bien marquer son autorité. Il est fondamentalement différent du Pape présenté dans le Tarot des Visconti, grand prêtre bénissant et paternel.

Passons sur les discussions concernant le dessin des tiares, la triple couronne étant apparue assez tardivement. Passons également sur le port de la barbe ; quoique historiquement le sujet mérite attention, puisque cet élément pourrait aider à dater et situer l'origine de certains jeux..., on connaît en effet les époques où les papes furent rasés ou barbus ! En revanche, un détail retient l'attention sur un plan ésotérique : la présence ou l'absence de gants. Tandis que Wirth, comme l'auteur du Tarot italien moderne, fait bénir avec une main gantée - contrairement à l'image du Tarot des Visconti - le Tarot de Marseille, toujours ambigu et riche, n'ose trancher : une main est gantée, l'autre est nue ! D'un côté, le Pape tient la croix, la main protégée par un gant, de l'autre, il bénit sans écran. Le Pape est ici un intermédiaire; ses deux mains, l'une gantée et l'autre nue, sont comme les maillons d'une chaîne reliant les hommes agenouillés au ciel. Rien de cela dans le Tarot de Charles VI, où les deux personnages sont des acolytes et non des fidèles en prière. Comme La Papesse est représentée parfois sous les traits de Junon, il arrive que Le Pape soit remplacé par Jupiter, dont une des fonctions est de brandir la foudre céleste. Ici la croix à triple croisillon est une transposition de cette foudre, transposition du feu de l'esprit passant du ciel à la terre brutalement sans transition.

Un détail du Tarot de Marseille va être repris et amplifié, parfois de manière notable. Il s'agit des montants du trône qui deviennent chez Falconnier deux colonnes véritables. Pour lui, Le Pape est « le grand prêtre d'Isis, représenté assis entre les colonnes du Sanctuaire. Une main sur la croix ansée symbolise la pénétration du génie créateur à travers les trois mondes (Divin, Intellectuel et Physique), les deux colonnes signifient la loi et la liberté d'obéir ou de désobéir, l'autre main fait le signe du recueillement et du silence (savoir et se taire). A ses pieds, deux hommes agenouillés personnifient le bien et le mal soumis au souverain maître des arcanes ». Ceci parce que le numéro de cette lame est 5, « nombre de l'Homme envisagé comme le médiateur entre Dieu et l'Univers », nous dit Wirth.

La carte du jeu espagnol illustre ce thème en montrant l'Homme représenté à l'intérieur d'un serpent qui se mord la queue, tandis que, dans les quatre coins de la figure, des animaux rappellent les symboles des évangélistes - avec des variantes curieuses puisque l'ange est remplacé par un éléphant et l'aigle par un cheval.

Médiateur, grand prêtre de la religion officielle, dépositaire de la Vérité, Le Pape, en cette position privilégiée de la lame V, s'exprime dans une totalité spirituelle

On peut observer que les lames allant de cinq en cinq se répondent d'une certaine manière : Le Pape répond ainsi au Diable, comme La Roue de Fortune peut se lier au Jugement. D'un côté, le sacré et le profane, le bien et le mal, de l'autre la vie entraînée dans son cycle et la vie arrivée à son terme ultime, au moment où les trompettes célestes figent la ronde.